A des peintres abstraits
qui lui montraient des photos de leurs femmes et de leurs enfants,
Giacometti répondit qu'il se demandait bien ce qu'ils
voulaient lui faire voir : ''Moi, les photos, je les vois pas''. Il
leur reprochait de considérer la photo comme une
''présentation valable'' de la réalité
(entretien avec Georges Charbonnier, 16 avril 1957, cf You tube :
Alberto Giacometti -Entretiens, 1953 et 1957 : 10.44 ;
entretien retranscrit dans Le Monologue du peintre, Paris,
Julliard, 1959).
Le reflet photographique
d'un objet naturel est statique, inerte, dénué de toute
activité physique. L'objet réel est sans cesse actif et
sans cesse changeant, même une pierre, une bûche de chêne
ou un morceau de fer rouillé. Son être réel est
davantage dans cette activité, dans cette nouveauté
matérielle continuelle que dans le reflet fixe enregistré
par l'appareil.
J'ai abandonné le
dessin et la photo précisément parce qu'ils ne peuvent
pas saisir l'élément le plus intéressant d'un
paysage ou d'un objet quelconque : sa nouveauté physique
incessante. La seule nouveauté physique d'une image (dessin,
tableau, photo papier ou numérique) est celle de son support
matériel.
De sorte que devant
une photo, j'ai en tête l'idée que ce que je vois n'est
pas fixe et inerte -que le reflet est fixe et inerte, mais que la
réalité est toujours activement, intensément
neuve et fraîche -et cette idée est réjouissante
car elle me rappelle le fait toujours réjouissant de la
fraîcheur continuelle de la nature. Je me souviens d'une séance
de cinéma (du temps où j'étais étudiant,
phase au cours laquelle on tombe dans une cinéphilie plus ou
moins bêtasse comme on tombe généralement dans
tous les panneaux) : les scènes extérieures -paysage du
sud, sable, roche, soleil- me semblaient si intenses que l'intrigue
et les personnages perdirent tout intérêt. L'important
n'était plus la fiction, c'était l'extraordinaire éclat
de ce paysage. Il ne s'agissait plus d'un film, c'était des
images d'un phénomène naturel : la lumière
solaire sur les feuilles et l'écorce des arbres, sur les
pierres, sur le sol, des images de leur perpétuelle nouveauté.
Le cinéaste avait saisi l'événement incessant de
la nouveauté physique de la nature, mais sans voir autre chose
qu'un cadre extérieur, qu'un fait secondaire, le fait premier
était pour lui la fiction, pas la réalité
matérielle stupéfiante de ce monde. Ce que je voyais
n'était pas la réalité -la réalité
qu'on perçoit sur place-, ce n'était que son reflet
inerte, mais c'était suffisant pour ôter tout intérêt
à l'histoire. Devant le buisson ardent -ou dans un cinéma,
devant un reflet du buisson ardent, qu'a-t-on à faire d'une
vague fiction ?
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