17 septembre 2016

Giacometti : ''Moi, les photos, je les vois pas''.

A des peintres abstraits qui lui montraient des photos de leurs femmes et de leurs enfants, Giacometti répondit qu'il se demandait bien ce qu'ils voulaient lui faire voir : ''Moi, les photos, je les vois pas''. Il leur reprochait de considérer la photo comme une ''présentation valable'' de la réalité (entretien avec Georges Charbonnier, 16 avril 1957, cf You tube : Alberto Giacometti -Entretiens, 1953 et 1957 : 10.44 ; entretien retranscrit dans Le Monologue du peintre, Paris, Julliard, 1959).
Le reflet photographique d'un objet naturel est statique, inerte, dénué de toute activité physique. L'objet réel est sans cesse actif et sans cesse changeant, même une pierre, une bûche de chêne ou un morceau de fer rouillé. Son être réel est davantage dans cette activité, dans cette nouveauté matérielle continuelle que dans le reflet fixe enregistré par l'appareil.
J'ai abandonné le dessin et la photo précisément parce qu'ils ne peuvent pas saisir l'élément le plus intéressant d'un paysage ou d'un objet quelconque : sa nouveauté physique incessante. La seule nouveauté physique d'une image (dessin, tableau, photo papier ou numérique) est celle de son support matériel.
De sorte que devant une photo, j'ai en tête l'idée que ce que je vois n'est pas fixe et inerte -que le reflet est fixe et inerte, mais que la réalité est toujours activement, intensément neuve et fraîche -et cette idée est réjouissante car elle me rappelle le fait toujours réjouissant de la fraîcheur continuelle de la nature. Je me souviens d'une séance de cinéma (du temps où j'étais étudiant, phase au cours laquelle on tombe dans une cinéphilie plus ou moins bêtasse comme on tombe généralement dans tous les panneaux) : les scènes extérieures -paysage du sud, sable, roche, soleil- me semblaient si intenses que l'intrigue et les personnages perdirent tout intérêt. L'important n'était plus la fiction, c'était l'extraordinaire éclat de ce paysage. Il ne s'agissait plus d'un film, c'était des images d'un phénomène naturel : la lumière solaire sur les feuilles et l'écorce des arbres, sur les pierres, sur le sol, des images de leur perpétuelle nouveauté. Le cinéaste avait saisi l'événement incessant de la nouveauté physique de la nature, mais sans voir autre chose qu'un cadre extérieur, qu'un fait secondaire, le fait premier était pour lui la fiction, pas la réalité matérielle stupéfiante de ce monde. Ce que je voyais n'était pas la réalité -la réalité qu'on perçoit sur place-, ce n'était que son reflet inerte, mais c'était suffisant pour ôter tout intérêt à l'histoire. Devant le buisson ardent -ou dans un cinéma, devant un reflet du buisson ardent, qu'a-t-on à faire d'une vague fiction ?

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