4 octobre 2016

Un objet sans cesse neuf

Magie d'un objet qui aurait la propriété merveilleuse de se renouveler sans cesse, d'être toujours neuf. Une voiture par exemple, ou une paire de gants -non pas une jolie paire de cérémonie, qu'on ne porte qu'une fois, mais une paire ordinaire, de gros gants de cuir dont on se sert fréquemment et sans ménagement pour casser du bois ou pour jardiner- qui serait toujours neuve, non seulement d'une année sur l'autre, mais d'une génération à l'autre, et qu'on se transmettrait dans la famille depuis cent, depuis mille générations, et qui serait toujours souple et solide, inusable, intacte, -absolument neuve. Cet objet existe. Il ne se trouve pas dans les contes, ce n'est pas un accessoire des fées. Cet objet, c'est la nature, l'ensemble de la réalité matérielle qui nous entoure et dont nous sommes nous-mêmes une manifestation. Le moindre petit jardin est un temple à ciel ouvert -un temple hypèthre, comme dirait Thoreau (dans La Vie sans principes)- où l'on peut rendre un culte au dieu du nouveau, -au dieu de la matière qui se renouvelle sans cesse.


Un arbre mort sur une hauteur, ou un morceau de bois flotté sur le rivage peuvent nous frapper par leur beauté et leur intensité. Du point de vue de la perception ordinaire (celle qui ne saisit de la réalité qu'une ''simplification pratique'', selon la formule de Bergson dans la fameuse digression du chapitre 3 du Rire : Quel est l'objet de l 'art ?), ce sont de vieux objets morts. Vieux et morts : sur le plan biologique, ce n'est guère contestable. Mais sur le plan physique ? Il me semble que la notion de vieillissement n'a de sens que dans la sphère biologique, et qu'une particule n'a les propriétés d'une particule qu'autant qu'elle est aussi active et énergique, aussi neuve qu'à la première seconde. Un arbre mort est objet physiquement neuf à chaque instant, et, pour le moins, un objet à chaque instant actif, puisque les électrons sont en mouvement constant autour du noyau, que les noyaux s'agitent en permanence, et qu'au sein des noyaux les quarks vibrionnent. Existe-t-il des électrons qui se traînent, -fatigués, ridés, rouillés, frappés par le vieillissement ? Ou faut-il penser qu'un électron ne demeure électron -et plus généralement qu'une particule ne demeure telle- que s'ils restent absolument neufs à chaque instant ? Selon les physiciens, les électrons et autres particules sont strictement identiques (cf par exemple Jean-Marc Lévy-Leblond, De la matière, Seuil, 2006, chapitre 1, qui cite Peter Pesic, Seeing Double, MIT, 2002). Faut-il s'interdire d'en conclure qu'il n'y a ni jeunes ni vieilles particules -puisqu'elles sont toutes identiques ? Qu'elles sont toujours dans l'état propre aux particules de leur espèce, vives et neuves comme à la première seconde ?

La nature donne une incessante impression de fraîcheur, d'intense nouveauté physique -comment en rendre compte si la matière n'est pas à chaque instant neuve ? Une chose est certaine : percevoir cette fraîcheur est toujours une joie, gratuite, inépuisable, et qu'on peut s'offrir partout et à chaque instant -ou plutôt pourrait : car l'empire du bruit et des pollutions diverses est parfois tel qu'il perturbe sérieusement notre perception de la réalité matérielle -mais sans jamais altérer la propriété que semble avoir cette réalité de se renouveler sans cesse : polluée ou non, la nature est un objet sans cesse neuf.

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