9 septembre 2016

Braises

Quand on perçoit cette fraîcheur, on voit tous les objets naturels (écorces, feuilles, fleurs, eau, air, pierres, terre, etc.) comme des braises, car comme les braises, comme les flammes, ils sont sans cesse actifs, sans cesse ardents, sans cesse nouveaux. Ou comme des pierres précieuses, vivantes, ardentes, respirantes. Existe-t-il de vieilles flammes ou de vieilles braises ? Et on les voit comme des braises parce qu'eux aussi sont physiquement neufs à chaque instant.

Pour Héraclite, le feu était l'élément fondamanental : tout s'écoule, et tout est feu. Un passage d'un livre de Karl Popper (Conjectures and Refutations, 1963) est particulièrement expressif : Il ne reste aucune stabilité dans le monde d'Héraclite. ''Tout s'écoule, et rien n'est en repos''. Tout s'écoule, même les poutres, le bois d'oeuvre, les matériaux de construction dont le monde est fait : la terre et les roches, ou le bronze d'un chaudron -tous s'écoulent. Les poutres pourrissent, la terre est lessivée et emportée, les roches mêmes se fendent et disparaissent, le chaudron de bronze se couvre d'une patine vert-de-gris : ''Toutes choses sont en mouvement tout le temps,... même si nos sens ne le perçoivent pas'', comme le disait Aristote. [...] De sorte qu'il n'y a pas de corps solides. Les choses ne sont pas réellement des choses, ce sont des processus, elles s'écoulent. Elles sont pareilles au feu, pareilles à une flamme qui, bien qu'elle puisse avoir une forme définie, est un processus, un courant de matière, un fleuve. Toutes choses sont des flammes : le feu est le seul matériau de construction de notre monde, et l'apparente stabilité des choses tient aux lois, aux mesures auxquelles sont assujettis les processus de ce monde.

Dans la philosophie d'Héraclite d'Ephèse, écrivait aussi Werner Heisenberg (dans Physics and Philosophy, 1958), le concept de Devenir occupe la première place. Il considérait ce qui est en mouvement, le feu, comme l'élément fondamental. [...] La physique moderne est d'une certaine façon extrêmement proche des idées d'Héraclite. Si on remplace le mot ''feu'' par le mot ''énergie'', on peut presque reprendre ses affirmations mot pour mot de notre point de vue moderne. L'énergie est en fait cette substance dont toutes les particules élémentaires, tous les atomes et par conséquent toutes choses, sont faits, et l'énergie est ce qui est en mouvement. L'énergie est une substance, puisque sa quantité totale ne change pas, et les particules élémentaires peuvent de fait être créées à partir de cette substance, comme on le voit dans de nombreuses expériences sur la création de particules élémentaires. L'énergie peut être changée en mouvement, en chaleur, en lumière et en tension. On peut tenir l'énergie pour la cause fondamentale de tout changement dans le monde.

Fouilles archéologiques d'Ephèse (photo Ad Meskens). 
Ce que je vois de plus important dans cette image (vue dans sa taille maximale), ce ne sont pas les vestiges : c'est la fraîcheur physique de tout ce qu'on voit : tout s'écoule sans cesse, tout est toujours physiquement neuf.



Dans les termes d'Héraclite : Ce cosmos, ni les dieux ni les hommes ne l'ont créé, mais il a toujours été et est et sera : un feu toujours vivant, s'allumant avec mesure et s'éteignant avec mesure.

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